Chronique

Seraina Kobler

écrivaine, autrice indépendante et journaliste www.serainakobler.com

Rêves éveillés et pluie chaude d’été.

Aujourd’hui, je suis allee au parc avec mes filles, et en chemin, nous avons parle de l’ete. La glace degoulinait du cornet qu’elles tenaient dans leurs mains, leurs bouches etaient barbouillees de chocolat, et elles pensaient a des vers luisants et a de la pluie chaude.

Plus tard, le ciel s’est rapidement couvert et, avant que nous n’ayons pu le prevoir, une pluie torrentielle a suivi ainsi que ce moment ou, pour la premiere fois de l’annee, de grosses gouttes de pluie bien rondes eclatent sur l’asphalte chaud et ou s’eleve cette odeur qui sent l’ete comme aucune autre. Et qui a le pouvoir de traverser directement et immediatement le corps. Retourner aux etes de l’enfance, quand tout etait vaste et lointain. Ceux de la jeunesse, lorsque tout semblait possible. Il n’est pas etonnant que tant d’histoires de passage a l’age adulte se deroulent pendant les grandes vacances, lorsque les ecoles sont fermees et que l’influence parentale se dissout dans la chaleur.

Plus tard, avec les annees, est venue egalement s’ajouter une pression: l’attente eperdue d’un ete qui devait etre absolument le meilleur de sa vie. Et qui ne s’est finalement pas realisee. Peut-etre avions-nous lu trop d’histoires de passage a l’age adulte. Parfois meme, nous eprouvions une sorte de soulagement a la vue des premieres chutes de feuilles annoncant l’approche de l’automne.

Mais a ce moment-la, lorsque monte cette odeur qui porte le nom de petrichor, ce qui ne rend pas justice a sa beaute mais favorise tout de meme l’association, ces reves eveilles qui nous font replonger dans le temps de l’enfance reviennent aussi. Point d’images oniriques nocturnes, point de subconscient desordonne, mais des ambiances fluides, declenchees par des images mentales legeres et fugaces, qui ouvrent des portes interieures et preparent ainsi le terrain pour croire en des possibilites cachees.

Un processus qui s’installe egalement lors de l’ecriture. Quand la tete lache prise, que la memoire du jour lache un peu la bride pour ceder la place a ce qui s’assemble parfois comme par magie. Oui, pourquoi ne pas ecrire cet ete une histoire de passage a l’age adulte? Ou a tout le moins marcher pieds nus sous la pluie chaude.

Texte Seraina Kobler, Diogenes Verlag Photo Franco Tettamanti, Zurich

viva. Rêver.